Anne-Marie Salvetti SRAM

Anne-Marie Salvetti SRAM

Ouvre la fenêtre, regarde les étoiles


Introduction

 

Je rêvais de châteaux hantés,

de maisons troublées,

de nuits sombres, agitées

 

Contemplative, à sa fenêtre Marie frissonne, son regard traverse la vitre embrumée, survole le jardin, se pose sur les haies, effleure les maisons voisines et continue sa course mélancolique. L’horizon bouché s’habille de gris, un pâle soleil d’automne joue avec les volutes de fumée d’un bâtonnet d’encens qui se consume et parfume la pièce, d’une senteur entêtante.

Sur son fauteuil les yeux mi-clos, son chat dort paisiblement, Marie soupire, s’éloigne de cette vision et s’approche de son matou, caresse tendrement cette petite boule de poils tiède qui ronronne sous ses doigts. Les enfants à l’école, la maison retrouve son calme, le silence tel un manteau ouaté l’enveloppe. Marie s’installe devant son ordinateur, ses pensées vagabondent, le tourbillon des jours l’entraîne dans une spirale sans retour.

Septembre s’écoule, bientôt s’installera octobre la saison aux couleurs de flammes, puis arrivera l’hiver avec sa grisaille, ses branches d’arbres dénudés qui élèvent au ciel leurs grands bras secs et griffus.

 

Marie se prépare un café, machinalement allume la radio, l’écoute d’une oreille distraite, en sourdine, elle énumère dans sa tête le programme de la matinée, tout en lançant son ordinateur, la tasse fume près de son clavier, elle hume l’odeur âcre et forte de la boisson. Puis elle consulte ses emails, ouvre le réseau social qu’elle fréquente assidûment depuis quelques années, elle aime ces petits moments de partage virtuel.

Pensivement elle parcourt le site, il lui fait penser à une fenêtre qui la relie au monde extérieur, abolit l’espace, les frontières et tend entre chaque maison un fil de communication. C’est ainsi qu’elle a retrouvé de vieilles connaissances, d’émouvants petits retours sur le passé, après de longues années écoulées. Mais tout cela lui paraît si loin, un regard voilé, porté sur sa vie.

 

Le silence l’enveloppe, par moments des petits bruits le perturbent, un meuble craque, un claquement sourd, le cri d’un oiseau traverse les murs. Perdue dans ses pensées, ses yeux se posent sur un message d’un ami japonais, il est écrit en Kanji. Marie plisse son front, la concentration creuse son visage, une marque se dessine entre les arcs sombres de ses sourcils, quelques rides accentuent l’expression de son regard intense. C’est un pressentiment qui la pousse à lancer le traducteur en ligne et à interpréter ce qui est dit. Vite elle envoie un petit mot, son ami lui répond par retour d’email, il semble triste et ému, il lui annonce le décès d’un homme connu dans leur jeunesse, mais il n’en sait pas plus. Trente années passées si vite, Marie plonge dans ses souvenirs. Le silence est oppressant, sur un fond de musique, c’est un silence intérieur fait de pensées confuses.

Un sentiment de solitude l’enveloppe, sensation pesante, comme une main posée sur sa nuque ; une main trop lourde douloureuse qui fait pencher sa tête. Marie, face à son écran d’ordinateur, est triste et perturbée. Elle chasse une mèche rebelle qui lui recouvre les yeux et respire profondément, puis elle pense.

Je ne l’ai plus revu depuis si longtemps. Lui que la mort a fauché.

 

Lasse, elle repousse la tasse de café sur un coin de la table. Un nœud lui enserre la poitrine. Elle doit se secouer, elle a des courses à faire avec Fred son compagnon. Marie se force à se lever, s’arrache de son bureau pour aller se préparer. La corvée des courses dans un magasin de bricolage de région parisienne lui semble bien au-dessus de ses forces. Le cœur de Marie palpite entre souvenirs et regrets, il franchit les années perdues, traverse le temps, nostalgique.

 

Sur la route, ses yeux glissent sur des panneaux publicitaires, des pubs de Sushis-bars. Marie y pose un regard étonné ; elle, qui connaît parfaitement ce parcours, n’avait jamais remarqué tous ces restaurants japonais. Au magasin, silencieuse, elle déambule d’un rayon à l’autre. Elle suit Fred comme une ombre, son esprit vagabonde. Ses yeux se posent machinalement sur les étalages, mais elle ne les remarque pas, son esprit dérive.

Que c’est long les courses…

Au retour sur le trajet, dans l’habitacle de la voiture, elle ferme les yeux. Silencieusement, demande un signe, elle projette sa prière muette à travers l’espace.

La radio diffuse une chanson en anglais. Au début elle n’y prête pas attention, mais la musique l’enveloppe, elle se surprend à traduire les paroles : « Tu es si belle pour moi ». La mélodie lancinante l’obsède, puis la fascine. Avec clarté Marie comprend, son cœur se met à battre très fort. « You are so beautiful », lui dit la chanson de Joe Cocker


30/04/2023
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